Seul importe son balancement. Elle est le rythme qui fait tourner le monde, l'âme vivante derrière la machine. Quand elle s'interrompt, par fatigue, ou ennui, ou parce qu'elle doit aller aux toilettes, les engins s'arrêtent aussi, ne laissant au monde que dix minutes d'énergie. Un message d'alerte parcourt la planète, brûlant les câbles, turbulant les ondes, noyant les moniteurs dans le rouge. Les travailleurs descendent de leur poste, ils prient pour qu'elle remonte sur sa balançoire, ce qu'elle ne manque jamais de faire, quand elle s'est rafraîchie et qu'elle en a de nouveau envie. Elle est leur déesse. Des icônes à son effigie trônent dans tous les foyers, boutiques et bureaux. Elle sourit au dessus de petits autels en forme d'escarpolette, où brûlent des cierges qui ne s'éteignent jamais. Ils lui offrent des présents, de la nourriture, des livres, des jeux, de la musique pour qu'elle reste éveillée. Bien qu'elle soit encore jeune dans son poste, elle passe le plus clair de son temps à lire leur courrier, et à leur répondre.
Toutes les six minutes, elle balance doucement ses hanches, donnant au système une nouvelle impulsion, puis elle s'endort aussitôt, pour une sieste de 120 secondes, où elle rêve de la terre ferme, de son passé insignifiant, de son futur glorieux, d'ici quinze ans, avant qu'elle ne puisse plus marcher, quand elle prendra sa retraite pour terminer son existence comme trésor national. Le sifflet strident de son métronome, un grand maigre en uniforme, la réveille. Elle lui fait un clin d'?il rituel, regarde le décompte du jour, et reprend le rythme. Les dimanches, elle salue l'une ou l'autre de ses remplaçantes, celle qui prendrait aussitôt sa place si elle tombait par accident, comme cela est arrivé à quelques devancières. Elle-même a été remplaçante pendant cinq ans avant d'avoir le poste. La compétition était rude. Les filles achetaient des cassettes, s'entraînaient dur sur des balançoires maison qui