Un matin gris, elle se réveilla et vit que quelque chose n'allait pas.
Le monde manquait de couleurs.
Cette fois, se dit-elle, il faut que je le fasse.
Elle avala son déjeuner, se brossa les dents, passa à la douche, enfila une blouse blanche et un pantalon de travail. Elle fouilla dans le placard de sa chambre et y trouva le matériel de peinture, ainsi que la pile de vieux journaux qu'elle gardait pour l'occasion. Elle étala les papiers au sol et y répartit les tubes, pots et aérosols, les arrangeant comme un arc-en-ciel primitif. Elle prit son temps. Il lui fallait se souvenir. A quoi donc le monde devait-il ressembler ?
Elle commença par le ciel. Par chance, ce n'était pas un ciel d'orage, du genre qui lui donnait des maux de tête. Juste un ciel bleu de carte postale, avec des petits nuages duveteux dans le bas et des plus allongés dans la stratosphère. Elle ajouta, par fantaisie, des traînées de condensation. Elle travaillait vite, à grands coups de brosse. La voûte céleste fut prête en une heure. Même si cela n'avait rien d'un chef-d'?uvre, les habitants en dessous n'y verraient que du feu. Et il fallait bien qu'elle s'échauffe.
Le paysage urbain devait être une symphonie de camaïeux de gris nuancés de jaune, de rouge et de vert, avec les éternelles ombres bleues et les reflets occasionnels. S'il y avait de quoi improviser, le niveau de détail restait impressionnant. Elle devait faire attention à respecter tout ce qui était officiel, les marques, les publicités, car une plainte était vite déposée. Les petites boutiques, les voitures personnelles, elle les peindrait avec plus de liberté. Après tout elle avait du goût, sans quoi elle n'aurait jamais été embauchée. Alors elle se mit au travail, passant la matinée sur les rues et les bâtiments.
Elle gardait le plus dur pour la fin. Les gens. Une jolie bande de susceptibles, ceux-là. Elle prépara d'abord une palette pour les grains de beauté, les boutons, les cicatrices et les tatouages. Puis elle fit une palette pour les vêtements. Puis la palette des cheveux, rajoutant un peu de bleu et de violet pour les vieilles dames et les punks nostalgiques. Puis, en soupirant, elle s'attaqua à la palette des couleurs de peau, qui allait du Blanc Albinos au