Les Grands Jours, on boit. Les jeunes servantes dressent les tables sous les arbres, et elles apportent bol après bol d'une liqueur verte et sirupeuse qu'ils nomment ath, et qu'ils fabriquent à partir de la pulpe d'une baie cueillie dans la chaîne d'Athgepoon. Pour faire de la bonne ath, il faut utiliser des baies souillées par de la pisse de renard. Les renards ayant disparu depuis longtemps de la région, je suppose que plus personne aujourd'hui ne boit de la bonne ath. Mais elle n'est pas si mauvaise et on pourrait la comparer à un whisky fortement salé. Bien sûr, le goût de l'ath est moins important que l'effet qu'elle produit sur les êtres humains. Lors de mon premier Grand Jour, ils se mirent d'accord pour ne pas me faire boire. Je restai donc là à les regarder absorber des litres de liqueur, tout en plaisantant et en bavardant gaiement. La scène était en tous points similaire à votre banquet campagnard standard, sinon qu'il n'y avait aucune nourriture, et que la boisson était unique. Au fur et à mesure que l'après-midi avançait, je sentis les servantes devenir de plus en plus nerveuses. Elles semblaient remarquer chez mes amis des altérations de comportement que mes sens encore peu aiguisés ne détectaient pas. Elles avaient arrêté de parler aux buveurs, et ne restaient désormais près des tables que le temps strictement nécessaire pour emporter les bols vides et en apporter des pleins. Elles s'inquiétaient à mon sujet. Elles me faisaient des signes - à l'époque, je ne parlais pas encore couramment leur langue -, me priant de quitter au plus vite le banquet. Je ne savais que faire. Ces filles paraissaient désespérées. Toutes se tenaient maintenant à distance, à plus de trente mètres des tables. Je me tournai vers mon voisin, qui finissait sa dernière pinte. Je lui demandai pourquoi les serveuses agissaient ainsi. Sa réponse fut un rire énorme et rauque. Il traduisit ma question au reste de la tablée, et ce ne fut, pendant quelques minutes, que rugissements et railleries à mon égard. Pleurant encore d'un rire mal étouffé, il me dit, Je suis désolé, mon ami, mais tu vas comprendre très bientôt. Ce fut à ce moment précis que