Il soufflait, sifflait tant et plus de sa poitrine fatiguée alors que ses courtes jambes le portaient vers le château, à travers les rues boueuses de Vhadeggot. Il allait être en retard. Son chardécrou rouge était posé de travers sur sa tête, et sa hâte avait été telle, lorsqu'il avait dû chercher son lecteur de lignes, qu'il avait enfilé les mauvaises bottes. Heureusement, elles étaient tellement crottées de terre verdâtre que le Roi ne ferait certainement pas attention à cette faute majeure dans le respect du protocole. Il jeta un coup d'?il vers le haut. Le château semblait si lointain, si proche du ciel. Ils étaient le seul peuple dans le Pays d'Eggot dont le Roi conversait quotidiennement avec les nuages. Ce qui aurait passé partout ailleurs pour un signe de folie était ici respecté comme un divin passe-temps. Peut-être le Roi serait-il en train de parler stratégie avec un cirrus ami, et son retard passerait-il inaperçu ? Quand le Roi apparaîtrait dans toute Sa splendeur, il n'aurait plus qu'à se prosterner aussi bas que possible, et à écouter de Ses lèvres la raison pour laquelle sa venue avait été souhaitée. La raison... Il ne la connaissait que trop. Alors que l'ombre du château grandissait devant lui, il commençait à craindre que Sa Majesté ne lui interdît de dire au revoir à sa famille, tant Elle était pressée de l'envoyer dans une de ces missions imbéciles, probablement exigée par un cumulus chevelu. Dire qu'il avait le lecteur dans sa poche. Avant de frapper au portail du château, il se retourna une dernière fois. Sous ses yeux, Vhadeggot était toujours enfouie dans une brume grise, et seules émergeaient les collines environnantes. Plus loin, il ne distinguait pas encore la campagne monotone où il aurait à voyager pendant des semaines, voire des années, sous la surveillance étroite d'une compagnie de prêtres-soldats faibles d'esprit. Sa seule occupation serait de regarder des doigts, des doigts et encore des doigts, doigts de paysans, doigts d'esclaves, doigts de curés, pour les mesurer, pour les peser et surtout pour les lire, afin de déchiffrer dans leurs lignes le message de Dieu. Sa dernière mission l'avait tenu éloigné pendant deux ans, et il était revenu les mains presque vides, à part une comptine de rien du tout lue sur l'auriculaire poisseux d'une petite de cinq ans. Sa Majesté s'en était évanouie de bonheur mystique, et bien qu'Elle eût reconnu que la comptine était trop profane pour être le Message lui-même, le Roi l'avait cependant inscrit au registre de ses devises personnelles. Depuis, le Roi