Le peintre marchait de salle en salle, à grandes enjambées. Chaque pas, chaque toile pendue au mur enflammait sa rage, lui donnant des raisons supplémentaires pour blesser sérieusement quelqu'un. Derrière lui, le troupeau craintif des assistants peinait à le suivre. Seule la commissaire de l'exposition gardait son calme, comme si nulle tornade ne se préparait. Elle pensait contrôler la situation. Elle avait été formée. Ces artistes, tous les mêmes, de gros egos ambulants. L'Ego artistique : comment s'en servir pour le bien de l'artiste. Il va se calmer. Il fit brusquement demi-tour et fonça sur elle en hurlant. MAIS QU'EST CE QUE VOUS AVEZ FAIT DE MON TRAVAIL. Elle perdit un escarpin sous le choc. Elle s'envola dans les airs comme un poupée de chiffons. Elle atterrit sur l'un des assistants, un gentil garçon qu'elle saurait remercier plus tard. Pas maintenant : tout son corps lui faisait mal. Elle venait d'ajouter un chapitre et quelques bleus à la grande saga de l'Artiste et de son Ego. Le peintre lui criait dessus à nouveau. CE NE SONT PAS MES PEINTURES, JE N'UTILISE PAS CES COULEURS LA. Elle se tâtait, il devait bien y avoir quelque chose de cassé. Couleurs ? Ah, oui, les couleurs. Elle se mit debout, le brave petit soldat, à bout de souffle, le regardant droit dans les yeux. Les couleurs, on les a changé. Et alors ? Relisez votre contrat, Article 9. Vous avez signé. Le violet est out, on l'enlève. Pareil pour l'orange. Le vert est in, on en remet une couche. Pareil pour le bleu marine. Que ça vous plaise ou non, on a fait ce qu'il fallait. Elle fit signe à l'un des assistants, qui tremblait sur ses jambes. Jérôme, viens là, ne soit pas timide comme ça. Explique au monsieur ton travail comme chef de projet Couleurs. Jérôme, qui avait passé une semaine innocente à étaler du vert et du bleu sur des zones invendables de violet et d'orange,