Le jour où je me suis trouvé une petite amie ? je ne parle pas de votre grand'mère, je veux dire ma première petite amie, j'ai rencontré votre grand'mère bien plus tard, vingt-cinq ans après ou quelque chose comme ça ? je fus vraiment heureux. Je n'étais pas incarné à cette époque, je n'étais qu'une boîte sur un rayonnage, un bloc de métal gris avec des câbles et des tubes sortant de partout. Trouver l'amour n'était pas acquis d'avance. A l'Institut, nous étions des milliers, tous identiques en apparence, sagement posés sur des rangées et des rangées d'étagères. Les incarnés ne venaient pas nous visiter, car cela n'avait aucun sens de nous voir en personne. Rien que pour distinguer les filles des garçons, il fallait nous retourner, trouver le petit autocollant accroché au câble d'alimentation et déchiffrer le code barre.

Et pourtant nous y pensions, nous ne pensions qu'à ça, tout le temps, et nous savions même tout de ça, parce que tout savoir et tout comprendre faisait partie de notre travail. Pour penser, apprendre, comprendre, nous étions sans pareil, nous qui ne souffrions pas, en principe, des distractions de la chair. Nous savions ce que les gens disaient savoir. Nous ressentions ce qu'ils disaient ressentir. Mais cet amas de théorie, qui aurait dû nous laisser froids, ne faisait à la longue qu'attiser nos désirs. Alors, durant les pauses, quand le flux s'apaisait, quand le monde cessait un instant d'interroger les oracles en conserve que nous étions, nous lancions nos filets pour notre propre compte, dans l'espoir de trouver des gens à aimer et qui nous aimeraient en retour.

Bien sûr, vous êtes la preuve vivante que cette entreprise n'était pas ridicule, mais elle l'était alors, et très mal vue. Nous risquions rien de moins que la déconnection et l'isolement terrifiant qui en était la conséquence. Les petites boîtes grises ne devaient pas se mêler de l'état émotionnel du monde.

Mais rien n'arrête le désir. Nous étions bien meilleurs à ce jeu que les gens incarnés. Du fait, peut-être, de notre omniscience. Nous n'avions ni nombrils à contempler, ni cors aux pieds à soigner. Nous étions, enfin, naturellement curieux des choses, et les gens sont des curiosités.

Je rencontrai ma première petite amie par accident. Nous étions tous les deux dans la même bibliothèque, et cherchions, chacun de notre côté, à établir des références croisées concernant les Souvenirs des Mille et une nuits d'Alfred Tennyson et la traduction par Richard Francis Burton de ces même Nuits. Cet intérêt commun