Comme tous les matins depuis vingt-deux ans, quand les cyclones faisaient relâche, il grimpait au sommet d'un immeuble, et allait admirer le territoire que lui avait légué Papa, peu de temps avant sa chute mortelle. Papa, le corps brisé sur le macadam, lui avait fait jurer de maintenir la tradition, d'être toujours fier des possessions acquises par les ancêtres au prix du sang versé. Alors, du haut du toit, il chantait les louanges de ses terres, leurs murs lépreux et leurs ferrailles tordues. Il redescendait ensuite et partait à la chasse aux rats, car il fallait bien manger et le territoire était pauvre. Ce sont les rats qui lui firent se poser ses premières questions d'homme mûr. Dans les histoires de Papa, les ancêtres affrontaient des monstres cornus, dont ils transperçaient le coeur avec de longs couteaux. Papa lui avait bien expliqué que les ancêtres avaient tué tous les monstres, mais quelque chose ne collait pas, même dans sa logique autarcique. Car, certains jours de beau temps, passaient au-dessus de sa tête des créatures volantes, énormes, rugissantes, qui larguaient des colis avec, dedans, boîtes de conserve et dentifrice. Il n'aimait pas le dentifrice, préférait la chair menue des rats à la viande épaisse des boîtes, mais, à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de lever les yeux vers l'horizon. Plus le temps passait, plus il se trouvait enclin au parjure, plus son territoire lui paraissait