Je découvris par hasard mon côté obscur. Ce n'était pas une surprise : j'en avais un, tout le monde en a un, tout le monde le sait. La révélation a été tardive pour moi, mais sur une échelle de certitude, seule la mort est plus incontestable. Voire? Les choses inanimées, qui ne sont pas vivantes et ne peuvent donc mourir, cachent leur malfaisance sous une peau ou une autre, qu'il s'agisse d'un manteau de laque rouge ou de l'incandescence d'un fil de tungstène. En ces temps paresseux, la recherche du côté obscur de chacun est devenue une sorte de sport. Il y a, bien sûr, ceux qui sont nés avec, ces caractères infâmes et ces objets méchants qui exhibent le mal par toutes leurs narines, lucarnes et écoutilles. Une telle franchise d'intention est d'un ennui certain, et l'on peut mettre en doute sa sincérité. On lui préfère la découverte graduelle des petits diables qui nous habitent comme autant de parasites, ou, devrais-je dire, comme autant d'organismes symbiotiques, car il est bien connu que nous les nourrissons autant qu'ils nous nourrissent.
J'avais la fortune d'être considéré, par ceux autour de moi, comme un garçon jovial d'un commerce agréable, le gars gentil, d'une modestie sans limites, toujours prêt à aider, l'incarnation de toutes les valeurs positives d'un monde civilisé, un individu mû par des principes élevés, mais qui n'oublie jamais qu'il est un être humain, et que les autres en sont aussi, et qui agit en conséquence en ne portant jamais sur eux des jugements regrettables. C'est là, pourtant, que mes ennuis commencèrent, et que j'entrepris ma descente ? à ma plus grande joie.
Vous vous rappelez peut-être le restaurant de Marthe. Il était situé en face de la gare, et mes amis et moi y dînions ensemble quand nous étions en ville. Ce qui arriva à Marthe, à son restaurant et au bel étang situé à côté, sera raconté ultérieurement, mais dans le fil de cette histoire il nous suffit de dire que cet endroit était simplement celui que nous avions choisi pour discuter des affaires du monde. Il était encore singulier d'évoquer à table le côté obscur, et en fait nous ne croyions pas à l'époque que