Depuis longtemps je tiens le coup, feu, fer, pluie, neige, grêle et tornades, chutes de pierre et chutes de grenouilles, quoiqu'il arrive. J'ai la peau dure, tannée, ridée, cramée, c'est une carapace de corne, une armure de cuir et je résiste. Comme disait l'autre, je prouve que j'exiiiiiste. J'en ai vu d'autres, des créatures de bronze aux mâchoires de fer et aux pancréas en titane, s'effondrer comme des petites briques en plastique à Domino Day. J'ai vu les géants plier et les colosses fléchir. J'étais témoin, quand le vent les a emportés au loin, les arrachant à la terre souple, leurs membres s'agitant en tout sens comme ceux d'oisillons jetés hors du nid par un coucou teigneux. Et qu'ai-je fait, quand ces montagnes de chair ont coulé vers la mer, quand ces tendons d'acier ont craqué comme des brindilles entre des doigts d'enfant, quand ces c'urs épais ont cessé de pomper, quand ces yeux brillants sont devenus vitreux ? J'ai souri de mon sourire tordu. Je suis allé me coucher en attendant mon heure.

Je suis né fétu de paille, le plus faible de tous. Je suis né dans l'ombre de mes aînés, eux qui pour rien au monde ne m'auraient jeté un regard, car mon insignifiance leur aurait rappelé qu'ils foulaient après tout la même terre que moi. Leur mépris était ma chance. Je me nourrissais de leurs miettes. Je buvais dans les flaques de boue oubliées par leur pas. Je me baignais dans les tâches de soleil laissées dans leur sillage. J'étais petit, j'avais peu de besoins. J'appris la patience et la persévérance. Je me formais à ces arts anciens, ruse, tromperie et dissimulation. Je devins invisible, ma peau devint écorce.

Quand l'hiver arriva, j'étais prêt. Les tempêtes entreprirent leur long voyage obscur dans nos terres. Je savais maintenant