- Je veux un pingouin, dit l'enfant.
- Non, dit sa mère.
- Je veux un pingouin, dit l'enfant.
- Non, dit sa mère.
- Je veux un pingouin, dit l'enfant.
- Non, dit sa mère. Et maintenant, tu te tais. Tu n'auras pas de pingouin, c'est tout.
- OUAHOUAHOUAHOU, commença à hurler l'enfant, avec une puissance sonore disproportionnée à sa taille.
La mère craignit de se faire siffler par un gendarme attiré par le bruit. Mais la petite voiture était perdue dans l'immensité glacée de l'Antarctique. Un blizzard était sur le chemin, et elle ne voulait pas rater le panneau de sortie qui les ramènerait chez eux. Déjà qu'elle avait oublié les pneus neige...
Au bout d'un moment, les cris firent place à des sanglots, et la mère put puiser avec sérénité dans ses vastes réserves de réconfort maternel.
- Ecoute, mon trésor, on ne peut pas avoir de pingouin à la maison, je sais, ils sont adorables, vraiment adorables, surtout les petits, moi aussi j'en aurais envie, tu vois ? Mais un pingouin, il a besoin de glace, d'eau, de poisson, et de copains, de beaucoup, beaucoup de copains. Alors si tu es sage, je t'en achèterai un en peluche quand on sera rentré. Un très grand, tout blanc et noir.
- Je ne veux pas de pingouin en peluche, dit l'enfant, j'en veux un vivant. Je veux lui donner des poissons. J'aime bien donner les poissons, c'est rigolo quand les pingouins ils mangent.
- Tous les pingouins ne sont pas rigolos, dit la mère. Il y en a qui ont des maladies, des maladies terribles. Et puis ils mordent les gens aussi. Si on en avait un à la maison, il pourrait me mordre, ou te mordre toi. Tu n'as pas envie d'être mordu, non ?
- Non.
- Alors tu vois, on ne peut pas avoir de pingouins.
- On lui fera des piqûres pour les maladies. On lui mettra une buselière.
- Une quoi ?
- Une buselière.
- Une muselière ?
- Oui, une buselière.
- Non, on ne lui mettra pas de muselière. Personne ne fabrique des muselières pour pingouins car personne n'a de pingouin chez lui.
- Si, j'ai vu les buselières.
Elle devait trouver rapidement le moyen de clore cette conversation. Elle pouvait sentir la tempête. Encore quelques minutes, et elle aurait besoin de toute sa concentration, sans quoi ils ne seraient jamais chez eux avant la nuit. Elle devait calmer son fils. Mais à quel prix... Elle soupira. Et se lança.
- Tu te rappelles ton papa, mon trésor ?
- Non.
- Si, tu t'en rappelles.
- Oui, mon papa.
- Tu te rappelles ce qui s'est passé, alors.
- Non.
- Si, tu t'en rappelles.
Oh, comme elle détestait faire ça. Mais pourquoi devait-elle faire ça ? Il était tellement préférable qu'il oublie.
- Le rhinocéros, dit l'enfant.
- Bien, le rhinocéros, tu te rappelles ce qu'il a fait, mon trésor ?
- Le rhinocéros il a fait mal à papa.
- C'est bien ça. On avait un gros rhinocéros à la maison, et il a fait mal à papa. On l'avait ramené d'Afrique, le gros rhinocéros, et on l'avait gardé à la maison, et tu jouais avec lui, tu te rappelles, tu lui donnais des bananes, et un jour il a écrasé papa, et papa après il ne voulait plus nous voir, alors toi et moi on a dû chercher un autre papa et une autre maison.
L'enfant se tut enfin.
Le blizzard descendit sur la banquise.
L'enfant dit