Depuis le temps qu'ils voyaient la sortie, ils n'avaient qu'une crainte, qu'un cauchemar, qu'ils partageaient tous sans jamais en parler. Se rapprocher de la porte de métal noir leur avait pris trente ans. Plusieurs fois, ils avaient dû reculer devant l'ennemi, abandonnant en hâte leurs vieux, leurs campements, leurs carrioles. Ils étaient toujours revenus, mieux armés, plus nombreux, et ils avaient continué. Jusqu'au pied du mur. Là, ils avaient fait une fête, une bacchanale insensée qui avait duré six mois. Une pluie de cendres les avait réveillés un matin. L'esprit pâteux, les articulations grinçantes, ils avaient vu battre dans le ciel les ailes noircies des livres où étaient écrits les calculs qui leur donneraient la liberté. Tout avait brûlé, et quinze autres longues années furent nécessaires pour refaire les chiffres, retrouver les sésames, et quinze autres, encore, pour construire les machines. Une génération s'était éteinte entre temps, celle-là même qui avait rêvé de la porte et de son ouverture. Quand les machines furent prêtes, quand elles commencèrent à souffler et à geindre dans l'effort, arc-boutées contre les battants, le vieux cauchemar revint en force. Et si ce bleu du ciel, cet mince filet d'azur vertical entrevu depuis si longtemps, vers lequel ils