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Les prisonniers
Les prisonniers


Tous les vendredis, à sept heures du soir, un groupe d'hommes avait pris l'habitude de se rassembler dans le petit square près de chez nous. Lorsqu'il nous arrivait, à ma mère et à moi, de passer près d'eux, en rentrant de chez ma tante ou d'une séance de cinéma, ma mère me disait toujours, à voix basse, de presser le pas. Bien sûr, je ne pouvais m'empêcher de dévisager ces hommes, qui me rendaient la politesse jusqu'à ce je détournasse la tête. Effrayé et excité, c'est avec impatience que je rentrais à la maison.

Mes parents ne me permettaient pas d'observer le rituel de près, ce que personne ne faisait d'ailleurs, bien que rien, à ma connaissance, n'arrivât jamais aux spectateurs d'occasion. Le square se vidait rapidement et les hommes avaient bientôt l'endroit pour eux seuls, si l'on excepte les moineaux et les chats errants. Depuis la fenêtre de ma chambre, armé des jumelles familiales, j'assistais à la suite des événements.

Les hommes étaient d'aspects divers, grands ou petits, gras ou maigres, jeunes ou vieux, chauves ou chevelus, propres sur eux ou en guenilles. Ils avaient en commun un calme surnaturel, une placidité singulière pour des hommes en groupe. Nulle truculence, nulle querelle. Ils parlaient peu, marmonnaient en baissant la tête. Certains avaient apporté des vêtements, des sortes d'uniformes gris ou bleus, d'autres rayés, qu'ils extrayaient de sacs en plastique, et qu'ils enfilaient par dessus leurs autres habits. Quand ils s'estimaient au complet, quand ils pensaient être prêts, ils se tournaient pour former un cercle, chaque homme suivant son frère dans le sens des aiguilles d'une montre. Ils se tenaient ainsi, sans bouger, pendant un temps.

Quelqu'un, enfin, donnait le signal de départ, une série de sifflements stridents. Incapable de prévoir l'instant précis, je sursautai à chaque fois, manquant régulièrement de lâcher les jumelles. Les hommes se mettaient à marcher en rond. Ils traînaient les pieds ainsi, pendant un temps infini, une demi-heure au plus. C'était un carrousel de lassitude, une cérémonie sans événement, sans accroc et sans écart dont cependant je ne voulais rien perdre, et dont j'espérais toujours une surprise qui ne venait jamais. Contrairement à mes parents, qui, eux, finissaient toujours par arriver en tempête dans ma chambre, m'ôtaient les jumelles des mains et, me poussant sans ménagement vers la salle à manger où le dîner refroidissait, me demandaient si, vraiment, je voulais finir comme eux.

Eux qui ?

Les prisonniers, me dit un jour ma mère.

Quels prisonniers ?

Les hommes du square, dit ma mère. Ils sont prisonniers dans leur tête. Ils ont fait des choses pas très belles, et ce qu'on leur a fait n'est très pas bien non plus.

Cette ronde, continua-t-elle, est leur seul