Il y a un jardin de l'autre côté de la rue. J'aurais dû y trouver le repos, parmi les mômes en pleurs, les couples roucoulants et les vieux endormis. Mais d'autres sons se font entendre, les feulements, grognements et grondements des fêtards célébrant le retour de la sauvagerie. Il ne fait pas de doute qu'ils m'observent, non plus comme une menace, comme autrefois, mais comme une friandise, 75 kg de chair hurlante qui sera le dessert bienvenu du festin en cours. Voilà une semaine, alors que je cherchais des boîtes de conserve dans les quelques magasins ayant échappé aux pillards, je manquai de me faire écraser par un zèbre, poursuivi par deux lions. Personne ne prêta attention à moi (un sentiment de déjà-vu). La cité a trouvé son équilibre, fragile, et qui fera le bonheur de tous tant qu'il durera. Les herbes, d'abord jaillies des craquelures du béton, recouvrent maintenant toutes les rues, et fournissent une pâture abondante pour les herbivores. Parcs et jardins sont devenus des jungles débordantes, le refuge ombragé des plus timides ou des plus meurtriers. Des familles entières de perroquets caquetants s'insultent mutuellement depuis les étages supérieurs de demeures patriciennes. Des lémurs ébahis dorment du sommeil du juste dans les éviers moussus. Les mouches heureuses bourdonnent partout, à la recherche d'yeux humides et de blessures suintantes. Où suis-je donc ? Comment devenir membre de cet ordre mondial ? Quel maillon sera le mien dans la chaîne alimentaire ? Ces questions peuvent sembler bien futiles, de la part de quelqu'un qui doit trouver son eau chaque jour, mais