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Le livre des commencementsAilleurs l'herbe est plus verteInformation sur l'image

Vaisseaux
Vaisseaux


Tout gosse, j'allais m'asseoir sur les quais, au bord de la baie, et je restais là à ne rien faire, regardant la marée, perdu dans les rêveries océanes, comme les autres gosses, comme les autres hommes. J'étais Ishmael attendant le Pequod. Les bateaux venaient de l'horizon, chargés d'épices et de richesses. Jour et nuit, des armées de dockers allaient au pillage, tirant des lourds vaisseaux le sang chaud et doré des nations lointaines. Les parfums exotiques me tournaient la tête. Je m'endormais au son des berceuses étrangères. Je rêvais d'accents chantants. Je cauchemardais en guttural. Mais, au fil des ans, les bateaux se firent moins nombreux. Beaucoup partaient, sans qu'on les revît jamais. Ceux qui revenaient étaient vides, ou leur cargaison pourrie. D'autres retournaient au port pour y couler de solitude, désertés par leurs propres matelots. Les affaires allaient mal. Les putains s'en allèrent, bientôt suivies des cohortes d'âmes qui avaient vécu de l'océan. Je restai.

J'atteignis bientôt douze ans, âge auquel j'aurai dû m'embarquer. A la place, je venais toujours m'asseoir sur le ponton vide, et je jetais des graviers sur les goélands maigres, ou trop vieux. J'étais le prince d'un empire d'épaves, et, comme les oiseaux, j'imaginais voir les navires se profiler sur le soleil couchant. Il n'y avait plus de marins. Plus de berceuses. Je passais mes nuits les yeux ouverts sur la jetée, attendant en vain que le phare se rallume. Ce fut l'époque où je commençais à regarder les étoiles, puisque l'horizon n'était que désespoir. Les étoiles, elles, me paraissaient vivantes. Elles avaient guidé les marins pendant des siècles. Ils s'en étaient allés, elles scintillaient encore. Je connaissais le nom de quelques unes d'entre elles ; j'inventais mes constellations.

Le premier jour de ma nouvelle vie fut en fait une nuit. J'étais assis, comme autrefois, au bord du quai, mais tourné vers la terre, où le rouge du couchant s'était fait avalé par le bleu du soir, quand le firmament partit en flammes aveuglantes. Quand je rouvris les yeux, une flèche grimpait vers le ciel, plus haut, plus vite qu'une mouette. Elle laissait derrière elle une colonne de fumée, blanche, épaisse, dure comme de la pierre. Les fusées étaient encore