Oyonale - Créations 3D et expériences graphiques
Le livre des commencementsStress et autres sentimentsInformation sur l'imagePanthéon (détail) Panthéon (détail) Panthéon (détail) Panthéon (détail)

Panthéon
Panthéon


Lorsqu'il était un héros, Eudémyon était connu tant pour l'abandon joyeux avec lequel il frappait ses ennemis que pour la puissance de ladite frappe. Il fracassait les crânes, tranchait les membres et broyait les corps avec l'enthousiasme d'un orfèvre finissant de polir une paire de cnemides. S'il n'aimait guère infliger des souffrances, il appréciait le travail bien fait, et la douleur faisait partie du travail, comme d'aiguiser son xyphos la veille de la bataille. Il participait avec entrain au nettoyage final mettant à sac les villes ennemies, et, comme tout le monde, fracassait contre les murs les crânes des enfants, violait et tuait les femmes, éventrait les animaux et incendiait tout le reste. Il se trouvait toujours un poète pour tirer de ces exploits des strophes admirables dont les échos épiques parvenaient ensuite à sa cité natale.

En quelques années, la bravoure d'Eudémyon avait été chantée tant de fois que personne chez lui n'ignorait son statut héroïque. Quand il mourut de dysenterie, à l'âge de vingt-sept ans, les poèmes évoquèrent sa fin glorieuse, debout face à une meute innombrable de loups affamés. Eudémyon fut élevé à titre posthume à un rang divin intermédiaire, juste au-dessus de celui de simple mortel, ce qui restait malgré tout un honneur insigne. On lui dressa quelques statues de marbre de seconde qualité, et il devint rapidement une de ces divinités fiables dont les gens se sentent proches du fait de la relative modestie de leurs prouesses passées.

Après sa courte apothéose, le dieu mineur Eudémyon apprit quelques astuces intéressantes. Mais son ancien travail lui manquait. Se jouer des humains à distance était trop intellectuel pour lui, cela manquait de chair, de sang, et de tripailles fumantes. Il se glissa néammoins dans la routine divine, et consacra ses jours à boire avec ses nouveaux camarades.

Puis, un jour, ses genoux lui manquèrent. Inquiet pour sa santé, il alla consulter Asclépios, qui pour toute réponse lui dit d'aller jeter un coup d'oeil sur ce qui se passait en bas. Effectivement, son orgueilleuse cité, rendue grasse et indolente par le produit de ses rapines, venait d'être rasée par des voisins jaloux. Ceux de son peuple qui n'avaient pas été massacrés sur place étaient devenus esclaves. Dispersés au gré des ventes et avec d'autres soucis en tête que le culte d'un dieu négligent, ils abandonnèrent Eudémyon.

Eudémyon se sentit faiblir, et, avec la mort du dernier humain se rappelant son nom, il disparut complètement de l'Olympe. Ici-bas, les quelques statues à son image furent vendues à des collectionneurs sur la base de leur valeur artistique, et passèrent de main en main au cours des siècles.

En 1994, l'administrateur de la Casa Peluzzi fit une recherche dans la nouvelle base de données offerte par un des sponsors du musée. La recherche ne renvoya que deux références concernant Eudémyon. L'administrateur n'en fut pas moins pressé d'annoncer au sponsor que la statue dans le hall, propriété de la famille Peluzzi depuis les temps de Savonarole, était celle d'un héros de la Grèce antique, peut-être même un demi-dieu, un certain Eudémyon. L'administrateur proposa au sponsor d'organiser une petite fête en son honneur, histoire de créer l'événement.

Eudémyon était donc de retour. La plupart de ses divins collègues étaient là, ceux dont la popularité ne s'était jamais démentie tout comme ceux qu'une fouille archéologique avait ressuscité par accident. Ils étaient moroses, cependant, et ils ne lui adressaient guère la parole, marmonnant dans leur barbe un simple bonjour. Etait-ce de la jalousie ? Au milieu des invités en smoking se pressant en nombre dans le hall de la Casa Peluzzi et qui l'appelaient par son nom, Eudémyon se sentait jeune. L'ambiance était joyeuse, effervescente, on l'aimait à nouveau !

Eudémyon sentit alors un regard de marbre se poser sur lui. Sur sa gauche, il vit la statue d'une jeune femme dont les yeux vides le fixaient. Elle n'avait pas l'air commode, se dit-il, sentant une sueur imaginaire lui couler dans le dos. Et était-ce son nom qui circulait dans la foule en compagnie du sien ? Le rictus qui le narguait lui semblait familier. Mais où donc