Jaap Van Hoogstraten avait acheté la masse d'armes pour quatre florins à un Espagnol en déroute, trop heureux de se délester à bon prix d'un héritage encombrant venu de son trisaïeul. La paix revenue, Jaap reprit ses fonctions à la guilde des armuriers de Delft, et installa la masse d'armes au rez-de-chaussée de sa maison, dans la pièce où il recevait habituellement. L'objet, tout de bronze bosselé, encore craquelé des traces sombres de la barbarie, provoquait l'admiration des invités et attirait les peintres du voisinage. Seule Trintge lui faisait toujours des remontrances, car, disait-elle, la masse perturbait le bon service de la maison. Deux servantes avaient déjà fui, et Dieu seul savait ce qu'elles allaient raconter dans leurs nouvelles demeures. Jaap n'avait aucune raison de céder à son épouse de secondes noces. On lui avait rapporté ce qui se racontait dans la ville au sujet de la curiosité espagnole, mais seul lui importait l'avis de ses pairs et de ses clients. Le 12 octobre 1654, la Poudrière de Delft sauta. Jaap dut rentrer précipitamment d'un voyage d'affaires à Utrecht pour tenir son rang en ces moments tragiques. Il trouva Delft en larmes sous la pluie, nimbée d'un voile de cendres humides. Plusieurs de ses amis étaient morts dans l'explosion. Il découvrit que, sans son voyage, lui-même aurait dû périr. En contrition, il voulut rendre visite à toutes les familles des disparus. Ce fut à ce moment, quand les portes commencèrent à se fermer devant lui, qu'il comprit le sens de la rumeur que sa femme et ses servantes lui chuchotaient depuis des années. Jaap s'en ouvrit au