Création réalisée en 2001
[Concept][Les problèmes commencent?][La foire aux monstres][L'abîme se referme][Générique]
Tout enfant aime marcher en équilibre sur des lignes tracées au sol ou sur le rebord du trottoir. Ils s'effraie à l'idée qu'un seul faux pas puisse l'entraîner dans le précipice ouvert sous ses pieds. Souvent, pour mieux tenter le sort, il se met à courir et tombe dans le gouffre - et en ressort aussitôt en riant. Mais un temps arrive où l'enfant - nous-mêmes - se rend compte que l'abîme est bien là, et qu'il en longe le bord tous les jours, et qu'il pourrait bien, un jour, y choir pour de bon. Nous préférerons en général faire comme si ce précipice n'existait pas. D'autres, via l'irrationnel, en rationalisent l'existence. D'autres encore se désespèrent et s'y laissent glisser, quand ils n'y plongent pas la tête la première.
Les contes et images de l'abîme ont toujours fait partie de la panoplie prophylactique des autorités morales ou religieuses : suivez le droit chemin, restez au bord du précipice, sinon... Mais, comme dit le proverbe, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Inspirer la crainte, fut-elle mystique, oblige à recourir à des trucs de bateleur. Il faut savoir montrer, il faut savoir plaire. Les visions de l'abîme ont ainsi toujours été parées des atours de la séduction, images colorées, brillantes, attirantes, en dépit des terreurs qu'elles prétendaient révéler.
"L'abîme" est une manière d'hommage, d'abord à notre propre enfance, et ensuite à ces artistes du passé qui surent si bien réaliser ces images d'épouvante, tout en échouant au final dans leur démonstration, car ce qui devait nous terrifier nous enchante aujourd'hui.
Cette image fut d'abord un "petit" projet, né lors d'un long voyage en train avec deux autres images (la seconde est Le dressage du K et la troisième - "Les cous" - reste à faire). Elle fut rapidement esquissée. Une premier traitement montrait un enfant marchant sur une ligne jaune zigzaguant au dessus d'un paysage montagneux. L'idée fut vite abandonnée car posant un problème de perspective : je ne voyais pas de solution pour obtenir deux plans à la fois séparés et reliés entre eux. L'enfant aurait paru flotter sur l'arrière-plan - ou collé dessus. Une seconde esquisse fut réalisée avec l'enfant faisant l'avion sur un rebord de trottoir - le concept actuel - , lequel surplombait un ravin rocheux. Deux ou trois créatures dragonesques, que je prévoyais de modeler avec Amapi, y montraient leurs crocs.
Quelques semaines plus tard, vers la mi-mai 2001, ayant terminé des projets secondaires, je commençai à travailler à celui-ci. Il devint vite apparent que la réalisation en serait moins facile que prévue. D'abord, débutant complètement avec Amapi, modéliser des objets complexes avec la qualité voulue me paraissait insurmontable. Ensuite, l'idée des dragons/dinosaures paraissait retrospectivement fort banale. Et puis chacun sait que les enfants adorent les dinosaures. Il me fallut donc revenir aux sources, et contempler, une nouvelle fois, certains de mes tableaux favoris, notamment "Le jardin des délices" et "La tentation de Saint-Antoine" de Jérôme Bosch, et la "Chute des anges rebelles" de Bruegel.
Les scans des tableaux ci-dessous sont de Carol Gerten-Jackson, CGFA Virtual Art Museum.
La tentation de Saint-Antoine, panneau gauche, Museu Nacional de Arte Antigua, Lisbonne. | |
Le jardin des délices, panneau central, Museo del Prado, Madrid | |
La chute des anges rebelles, Musée des Beaux-Arts at Brussels |
J'allai également visiter une exposition au Louvre consacrée au fantastique dans l'art islamique (le bestiaire fantastique occidental doit beaucoup à ses équivalents asiatiques). Je relus "Le Moyen-âge fantastique" de Jurgis Baltrusaitis.
Que pouvais-je donc emprunter à tout cela qui soit compatible avec mes moyens techniques et artistiques limités ? Le moindre recoin d'un peinture de Jérôme Bosch grouille de créatures toutes différentes, hybrides multiples d'humains, d'animaux, de plantes et d'objets. En bas et à droite du panneau gauche intérieur de la "Tentation de Saint-Antoine", nous pouvons voir une petite créature bossue, montée sur des patins à glace. Elle a une tête d'oiseau avec de petits yeux méchants et des oreilles de teckel recouvertes de points blancs. Elle est vêtue d'un manteau rouge agrémenté d'un blason, et porte un chapeau fait d'un entonnoir, d'où sort une branche au bout de laquelle pend une cerise. Le bec de la créature porte une lettre scellée : notre ami est un postier en chemin, attendu par trois autres créatures blotties sous un pont.
Nous savons bien sûr que ces êtres n'ont rien de gratuit. Ils sont porteurs de symboles nombreux, de références transparentes à des événements, situations, personnages, proverbes de l'époque. Ce qui était lumineux pour les contemporains de Bosch nous est aujourd'hui en partie perdu.
La principale contrainte technique était les besoins en mémoire. J'avais rarement utilisé plus de 4 ou 5 meshes différents de grande taille dans une même scène. En avoir des centaines comme dans un tableau de Jérôme Bosch était hors de question, et je devais savoir où limiter mon ambition. Utilisant des personnages Poser comme cobayes, je les bougeai et multipliai dans la scène. Il apparut que 20 créatures ou groupes de créatures semblaient pouvoir créer une impression de grouillement et de chaos sans pour autant m'obliger à changer de machine. Une fois la décision prise, je n'avais plus qu'à griffonner les esquisses des différents habitants de la scène, et le processus devint à partir de là assez direct.
Les créatures, créées et positionnées sur papier, furent transmutées l'une après l'autre en trois dimensions. Un certain nombre d'entre elles se trouvait déjà dans ma bibliothèque Poser. D'autres furent téléchargées depuis Renderosity, d'autres enfin furent achetées chez DAZ pour cette occasion. Chacune fut posée, puis mélangée ou combinée à d'autres créatures ou accessoires pour obtenir des chimères (aucune n'atteignant la complexité ou la sophistication de celles de Bosch ou de Bruegel). Ci-dessous, deux copies d'écran de Poser :
Poisson fumeur à pattes de grenouilles | Motard avec aimants de déformation |
Elles furent texturées avec des images maps, celles-ci étant soit les maps d'origine soit des maps peintes directement ou composées à partir d'images téléchargées depuis Internet. Tout le processus prit six semaines (en fait 6 week-ends plus les soirées). Une seule créature pouvait nécessiter plusieurs heures : pose, texture et positionnement dans la scène. Il fallait éviter que les personnages se cachent les uns les autres, ou se rentrent dedans. Régulièrement, un rendu nocturne faisant état de l'avancement des travaux permettait de corriger les problèmes. La population grandissait, comme on peut le voir sur les versions 7 et 8 ci-dessous :
Je regardai avec inquiétude les besoins en mémoire dépasser successivement 100, 200 puis 400 Mo of RAM, le tout avec une faible résolution et des paramètres de rendu réglés au minimum?
Je voulais utiliser la radiosité, une technique qui donne des résultats magnifiques quand elle est bien utilisée. Ici, la scène est éclairée uniquement par un hémisphère supérieur blanc cassé et par un plan bleu situé derrière la caméra. L'intensité de la lumière est contrôlé par la valeur de diffusion de chaque créature. Tous les tests étaient réalisés en radiosité. Je ne m'inquiétai pas trop des artefacts de radiosité, car la scène utilisait de nombreuses textures, complexes et turbulentes, qui cacheraient les bizarreries éventuelles (contrairement à La salle de classe, par exemple, où les artefacts sont bien visibles). Les principaux problèmes liés à la radiosité étaient donc une nouvelle fois la consommation de mémoire et les temps de rendu. Pour cette raison, j'éliminai autant que possible les textures réfléchissantes et/ou transparentes, et j'évitai complètement les matériaux avec réfraction. Cela diminuerait le réalisme, mais ce dernier n'était pas l'objectif essentiel de l'image.
La troisième semaine de juin, toutes les créatures étaient prêtes. Cetaines prévues au départ avaient été éliminées pour des raisons techniques et artistiques. Une vache pensante disparut ainsi, faute de pouvoir lui donner une pose correcte. D'autres créatures furent introduites de façon opportuniste, parce qu'elles présentaient bien pour un coût modique, comme les deux félines amoureuses ci-contre.
Je lançai un rendu de haute qualité et je vis que je ne m'en tirerai jamais avec 128 Mo de RAM... Le disque dur commençait à se plaindre. J'achetai donc en vitesse 512 Mo de mémoire supplémentaire?
Enfin, je m'occupai du trottoir. Cela aurait dû être une construction CSG magistrale, avec des boutiques et des vitrines créées de toute pièces, quelque chose de très réaliste, contrastant avec la population monstrueuse de l'abîme. Mais, après un mois et demi de travail, la fatigue se faisant sentir, l'idée de passer encore plusieurs semaines sur l'image n'était pas très attirante. Je commençai malgré tout à travailler sur le trottoir (euh ?), utilisant pour cela la nouvelle fonction de boîte arrondie disponible dans Pov 3.5. Le site de textures de Jeremy Engleman me fournit de superbes images de murs et de béton, que je touillai consciencieusement avec pigment_pattern et crackle solid. Je créai des fenêtres en surimposant une image de fenêtre à un height field déduite de la même... Et je m'arrêtai là. Plus question de faire une rue complète : un mur, un trottoir crasseux et deux fenêtres feraient l'affaire ! J'ajoutai de l'herbe issue de ma vieille macro d'herbe, un tuyau de Mendicité (retexturé) et quelques personnages secondaires, dont deux serpents, un mannequin et une borne à incendie sur patins. Encore quelques jours de réglages et l'image était prête au rendu.
Le rendu final à 2400 x 3200, démarré le 6 juillet, fut terminé le 18. Les smileys placés sur l'arrière-train des walkyries, victimes d'une trop faible définition, furent retouchés à posteriori.
L'Abîme utilise un grand nombre de créatures et de textures. La plupart d'entre elles ont été soit achetées chez DAZ (Digital Art Zone), soit téléchargées depuis Renderosity. J'ai essayé ci-dessous d'identifier tous leurs auteurs, mais parfois seul un pseudonyme est disponible.
Victoria (Vicky) et Michael (Mickey), auxquels il est fréquemment fait référence ci-dessous, sont des personnages humains de haute résolution commercialisés par DAZ. Victoria 2 is une mise à jour de Victoria.
Trottoir, bordure, murs, fenêtres : isosurfaces de boîtes arrondies avec du bruit 3D, texturées avec des mélanges de textures photographiques trouvées chez Jeremy Engleman et salies de façon procédurale.
Poissons à pattes : poisson "largemouth bass" Poser pour le corps et grenouille Poser pour les pattes. La texture est de "Man O' War" (Renderosity). J'ai créé la pipe avec Amapi.
Echelle : échelle à incendie de DAZ, texturée avec des photographies de rouille. Il a fallu réassigner complètement les vecteurs uv avec UVMapper. La plate-forme horizontale de l'échelle n'est pas visible mais contribue, via la radiosité, à assombrir les zones gauche et droite du trottoir, mettant la zone centrale en relief.
Bouche à incendie sur patins: la bouche elle-même est le modèle utilisé dans "L'oiseau mouillé" (dérivé d'un modèle de Christophe Bouffartigue). Les patins sont l'oeuvre de Nerd (Renderosity).
Serpent et tuyau : le tuyau est en CSG et a été texturé avec un mélange de photos. Le serpent est celui de Poser avec une texture de "the3Dwizard" (Renderosity).
Petit mannequin : personnage standard Poser standard, texturé avec une image de bois fournie avec le violon (voir plus bas).
Enfant en train de courir : gamin Poser 4 standard, avec les cheveux "Wedge" de DAZ et leur texture. Ce n'est pas le personnage le plus réussi de la scène... La texture de l'enfant a été composée avec des extraits de la texture de Victoria 2 pour la peau, des photos issues du site d'Adidas pour les chaussures, et pour le t-shirt une photo de Johnny Rotten créée initialement par Pariah (Renderosity).
Tricycle avec squelettes : le tricycle est l'oeuvre d'"Abraham" (Renderosity). Le conducteur et ses vêtements sont Michael et son Clothing Pack. L'ampoule vient du 3Dcafe. Elle aurait dû être transparente (voir les tests dans le chapitre 3 de ce Les coulisses) mais l'effet était désatreux sur le temps de rendu. Les squelettes, comme tous les squelettes de cette image, viennent de Poser.
Diable rouge aggripé au bord : Victoria 2 avec le Morph Pack 2 pour le visage bestial. La texture est une version rouge de la texture standard de Vicky, à laquelle a été rajoutée un tatoutage chinois fait par "Fishheid" (Renderosity).
Motard à grosse tête et sa moto : le motard est Michael et son Clothing Pack. La moto est l'oeuvre de Kalat (Renderosity) avec une texture composite. Elle a été déformée avec les aimants de Poser 4. La tour à éolienne vient de DAZ.
Vélociraptor sur zèbre : modèles Poser et DAZ avec leurs textures d'origine. Le raptor manie un fusil d'assault issu du Counterstrike pack créé par Joe Le Gecko (Renderosity).
Squelette et pingouins sur une planche de surf : modèles Poser et DAZ avec leurs textures. J'ai modélisé la planche avec Amapi et elle a été texturée avec une photo de vacances trouvée sur Internet.
Requin avec squelettes et plongeur : requin DAZ avec sa texture, améliorée avec la cocarde de l'US Air Force (trouvée sur le site de l'USAF). Le plongeur est l'oeuvre d'Anthony Appleyard (Renderosity).
Grosse nymphe avec poisson : Victoria 2 avec les morphs de surcharge pondérale, un costume de Walkyrie (lance, casque, soutien-gorge en métal et tresses) et une texture d'origine au postérieur légèrement modifié... Les poissons ange sont ceux de Poser.
Chat sur chien : chat et chien Poser standard. La texture du chat est de Joe Le Gecko (Renderosity). Les épées proviennent du Medieval Knight de DAZ.
Chaise avec homme et corbeau : business man Poser standard, corbeau par Sharkey (Renderosity) et chaise par Isaura Simon.
Grosse nymphe avec gremlin: comme la nymphe précédente, avec le gremlin de DAZ et sa texture. La chaîne et les entraves qui lient la nymphe et le gremlin sont de "JohnSta" (Renderosity).
Voiture avec squelette et fille en bikini : la voiture est la Chevrolet 57 que l'on trouve partout sur les sites de modèles 3D gratuits. La fille est Victoria 2 avec un bikini du Clothing Pack et la coiffure est le modèle Flip Hair de DAZ avec sa texture (modifée).
Angelots et tête dans un panier : les angelots sont le bébé Poser standard, avec des ailes d'un auteur inconnu (Renderosity). La texture du bébé est de Cindy Imhoff "Byte Me OK" (Renderosity). La tête exorbitée dans le panier est celle de Michael avec sa texture standard. Le panier et sa texture viennent de DAZ.
Robot pêcheur : modèle par REMC (Renderosity) et canne à pêche par Taruru (Renderosity). Le rocher a été modélisé avec Amapi. Le robot pèche un squelette.
Moustique et chevalier : modèles DAZ avec leurs textures d'origine ou légèrement modifiées. Le moustique est l'oeuvre d'Anton Kisiel.
Violon à pattes : violon ancien (fidula) avec ses textures par "Willjen" (Renderosity), mélangé à des pattes de grenouille Poser.
Femme tigre et femme léopard : Victoria 2 et "big cat morphs" et textures de DAZ.
Rat sur oiseau : modèles DAZ (l'oiseau est le "songbird" d'Anton Kisiel). La texture du rat est de moi... Celle de l'oiseau est une modification de la texture d'origine (noter le drapeau de pirate aux oreilles de chat). La bride et les rênes sont de "Jackie" et "Bloodsong" (Renderosity).