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Atteindre les étoiles

Note : si vous n'êtes pas familier avec la façon dont les images de synthèse sont créées, veuillez cliquer ici pour quelques définitions et explications.

L'e-mail par lequel tout a commencé

Comme tant d'histoires d'aujourd'hui, celle-ci a commencé par un échange de courriers électroniques.

Mark Shuttleworth, un entrepreneur sud-africain de 28 ans et amateur de ray-tracing, avait acheté l'ensemble des CD-ROMs de l'Internet Ray-Tracing Competition. Cela n'avait pas échappé à Chris Cason, le coordinateur australien de l'équipe de développement de POV-Ray. Ils devinrent amis, et, via e-mail et téléphone, ils prirent l'habitude de correspondre régulièrement. Après 6 mois de contact, fin 2001, Chris écrivit à son ami Mark:

- Ca serait super de pouvoir dire que POV-Ray a été le premier ray-tracer à rendre une image en orbite ;)

A quoi Mark répondit:

- Bien sûr! Ca sera avec plaisir. Dis-moi juste ce que tu veux que je rende !

Entre deux autres personnes, cela n'aurait été qu'une plaisanterie en passant et rien de plus?

Le 13 décembre 2001, Jaime Vives Piqueres (www.ignorancia.org), artiste 3D espagnol et moi-même reçurent de Chris Cason une invitation au projet artistique le plus incroyable auquel nous ayons jamais participé : par la grâce de nos travaux précédents (l'un et l'autre avons gagné l'IRTC plusieurs fois), nous étions conviés à réaliser une image destinée à être rendue à bord de la Station Spatiale Internationale par un certain Mark Shuttleworth.

S'il y a bien une chose que je sais de Chris Cason et de sa personnalité "on-line", c'est qu'il n'est pas du genre à faire des farces sur internet, ni à raconter des âneries pour le plaisir. S'il a un vrai sens de l'humour, Chris est aussi extrêmement rapide à remarquer les âneries des autres? En fait, il reconnaît lui-même qu'il ne plaisantait qu'à moitié avec sa petite remarque sur le raytracing en orbite. Mais l'invitation était quand même dure à croire. Jaime et moi sommes largement inconnus au-delà du cercle habituel des relations, amis, famille, collègues, clients et amateurs d'image de synthèse sous POV-Ray, lequel est un petit programme sympa largement ignoré par les professionnels du graphisme. Et nous voilà soudain tous les trois impliqués dans le programme spatial, au moins à titre symbolique. Cela n'avait aucun sens.

8 heures après, Jaime m'envoya un e-mail me demandant si j'étais toujours en train de vérifier les en-têtes du message de Chris, au cas ou quelqu'un se faisait passer pour lui pour se payer notre tête. Lui-même était toujours en train de digérer l'invitation. Une petite séance de Google plus tard, il apparut qu'il existait bien un individu appelé Mark Shuttleworth, qui, en 1995, lors de sa dernière année à l'Université du Cap en Afrique du Sud, avait fondé Thawte Consulting. Cette société était rapidement devenu le leader (hors Etats-Unis) des certificats de sécurité sur Internet, et il l'avait revendue en 2000 à Verisign pour une somme astronomique - 575 millions de dollars -, de quoi lui payer un ticket à 20 millions pour la Station Spatiale Internationale. Il deviendrait, en avril 2002, le premier "afronaute" de l'histoire et le deuxième "touriste de l'espace" - une expression qu'il n'aime pas tellement - après l'américain Dennis Tito.

A notre soulagement, le personnage était selon toute apparence et en dépit de ses millions un type sympathique, décidé à dépenser sa fortune dans son pays et en Afrique, via des fondations, des organisations caritatives et des capitaux-risque. Et puisque Chris Cason en personne répondait à nos e-mails, l'invitation semblait bien réelle.

Le défi

Tandis que Mark Shuttleworth se payait du bon temps à la Cité des Etoiles sur des engins de torture de fabrication russe tels que la "Chaise à vomir" ou la "Comète à vomir", nous étions assez libres de faire ce que nous voulions d'un point de vue artistique. Chris voulait seulement que l'image soit très plaisante, du type que les gens accrocheraient chez eux même si les conditions de sa réalisation avaient été plus banales. On ne savait pas grand'chose du type d'ordinateur que Mark emporterait à bord, si ce n'est qu'il s'agissait d'un portable d'une génération antérieure, et donc pas très rapide et peu doté en mémoire. Mais surtout, cette image devait être rendue en un temps limité, entre 35 et 50 heures, si possible quand Mark serait en train de dormir. Et comme nous comptions en tirer un poster, l'image devait être rendue en très grand format.

Pour Jaime et moi, c'était bien là le principal défi (rien de comparable bien sûr à un tour sur la Chaise à vomir?). L'un comme l'autre aimons par-dessus tout créer des scènes complexes, très détaillées, remplies d'objets, de textures et d'éclairages sophistiqués. En terme de raytracing, cela signifie des jours et parfois des semaines de rendu au format d'écran. Mais là, l'image devait être une centaine de fois plus grande, être rendue très rapidement tout en étant plaisante : un simple calcul (8000 x 6000 pixels divisés par 35-50 heures) nous donna une vitesse minimale de 300-400 pixels par seconde (pps). Nos images habituelles rendent à moins de 10-20 pps ! Impossible dans ces conditions d'utiliser tous ces fonctionnalités si amusantes que sont les effets atmosphériques, l'illumination globale, les isosurfaces, le flou et en règle générale tout ce qui permet le photoréalisme. En d'autres termes, nous devions créer l'image avec des techniques plus anciennes, mais rapides et moins consommatrices de ressources.

Une autre chose qui était laissée à notre appréciation était notre propre organisation de travail. Ni Jaime ni moi n'avions travaillé sur une image collective auparavant : nous préférons travailler librement pour pouvoir bidouiller nos images à l'infini, quitte à les abandonner un temps pour nous y remettre quand l'inspiration ou la "vie réelle" le permettent. Il apparut heureusement que nous étions assez complémentaires. Jaime aime modéliser des objets du quotidien à base de géométrie constructive solide (CSG) et de textures procédurales complexes, tandis que j'apprécie surtout la composition et la conception de scène, quitte à utiliser des modèles et des textures déjà faites. Bien sûr, je peux aussi me débrouiller en CSG et Jaime a un vrai talent pour l'éclairage? Dans tous les cas, nous travaillerions de cette façon les mois suivants, et nous communiquerions en espagnol. Jaime, qui gère son propre domaine, ouvrit un espace FTP pour que nous puissions échanger facilement les fichiers.

Nous avions une date limite : fin mars 2002. La fusée n'attendrait certainement pas que les deux amateurs finissent leur petite image?.

Concepts

Nous nous mîmes d'accord sur deux concepts de scènes, l'une et l'autre liées à l'évènement lui-même. Tel que je me l'imaginais, Mark Shuttleworth vivait un rêve d'enfant. Nous autres trentenaires avons été élevés dans le sillage des missions Apollo. Mark Shuttleworth n'était pas né à l'époque, mais je me souviens distinctement avoir assisté à l'alunissage du LEM, sur une télévision noir et blanc miraculeusement échouée au fin fond du Morbihan. Même si les vols habités actuels n'ont pas le prestige des missions lunaires, ils conservent une petite part de rêve. Mark Shuttleworth et son prédécesseur Dennis Tito ont été critiqués pour cette folie de milliardaire, mais c'est une folie que l'on peut comprendre. Rêver aux étoiles est après tout l'une des plus vieux passe-temps de l'humanité et l'un des plus respectables. Il n'était donc pas difficile de créer une version fictionnelle de Mark Shuttleworth, un humain quintessentiel - un enfant - prêt à laisser derrière lui toutes ses possessions terrestres durement acquises pour aller per ardua, ad astra. La vérité n'était d'ailleurs pas si loin, car Mark Shuttleworth avoua dans une interview réalisée après son voyage spatial que ce dernier était "simplement la réalisation obstinée d'une fantaisie enfantine" (The Guardian, 30 novembre 2002).

Mais comment traduirez cela en image ? Le premier concept dériva bizarrement d'une illustration que j'avais réalisée en 1989, bien avant de commencer à faire de la 3D, et dont le sujet était assez sombre, quoique parodiant ces images d'heroic fantasy où l'on voit des surhommes musculeux assaillis par des hordes de monstres.

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Empiler des bricoles en 3D avec un aléatoire contrôlé peut donner l'impression de complexité tout en gagnant en temps de construction et en temps de rendu. J'avais utilisé cette astuce plusieurs fois auparavant avec succès.

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Cliquer sur les imagettes pour voir les images en grand.

La première scène représenterait une petite colline de rebuts technologiques et d'objets abandonnés là par un enfant, lequel serait assis au sommet, la tête tournée vers les étoiles. Je jouais un moment avec l'idée d'y mettre plutôt un couple d'enfants, garçon et fille, ou une fillette, ou une jeune femme seule. Un personnage féminin avait des avantages commerciaux indéniables? Mais après tout il s'agissait de l'histoire d'un garçon, et ce fut un garçon qui alla siffler là-haut sur la colline.

Le second concept était lié au précédent. Il montrait un astronaute regardant la Terre par le hublot de la station spatiale. La station aurait été d'un style ancien avec des panneaux de bois vernis et instruments de cuivre, comme les machines volantes que l'on peut voir chez Jules Verne, Albert Robida, ou dans le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki. Cette idée, malheureusement, n'a pas pu être réalisée faute de temps.

Premières esquisses

Il nous fallut d'abord établir une liste des accessoires nécessaires à la construction de la "colline" de déchets et nous arrivâmes à 40 objets différents environ. Certains existaient déjà tandis que d'autres devaient être créés pour l'occasion. Cette liste nous permettait désormais de travailler séparément : Jaime passerait son temps à développer des modèles très détaillés (on ne triche pas avec une image en 6000 x 8000 pixels !) tandis que je travaillerais sur le concept.

Pour faire une première "colline", je puisai dans mes 10 ans d'archives POV-Ray pour trouver des modèles qui seraient soit des accessoires définitifs, soit des objets temporaires destinés à être remplacés par ceux de Jaime ou par les miens. La Collection d'objets POV de Micha Riser nous fournit quelques objets d'importance moindre. La macro Galaxy de Chris Colefax nous donna un beau ciel de fond. Pour le gamin, j'avais déjà en stock le Millenium Kid de DAZ, avec ses cheveux et ses vêtements.

Ainsi équipé, je disposai les accessoires selon une spirale conique, et je plaçai le môme dessus, comme le marié sur le gâteau de mariage. Quand on travaille sur des images de taille poster, on passe beaucoup de temps à jongler avec les échelles, car il faut que les détails soient aussi réussis que l'image globale. Ci-dessous, la version #3 de l'image, et un gros plan de l'enfant pris dans une autre version.

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Un vrai enfant à problèmes : non seulement sa peau à l'air en plastique, mais son cou est bizarrement tordu et il a une tâche lumineuse sous l'?il gauche?. Même avec un bon modèle Poser comme celui-ci, trouver la bonne pose et la bonne expression prend un temps infini, car pour chaque changement réalisé dans Poser, le modèle doit être exporté, converti et testé dans l'image finale pour être certain qu'il apparaîtra correctement. Le cycle complet prenait quelques minutes sur mon Pentium III, et dût être répété des dizaines de fois? Et je ne suis jamais arrivé à faire en sorte que l'enfant ait une visage regardable.

La seule chose satisfaisante à ce point était l'arrière-plan. Je finis par décortiquer complètement la macro Galaxy, histoire d'optimiser les choses et d'en comprendre le fonctionnement, mais cela reste une macro superbe. Ci-dessous la version #4, avec une lumière différente.

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Et pourtant cela ne marchait pas. Entre les artefacts d'illumination et les poses biscornues, le gamin était un vrai cauchemar. La "colline" était impossible à contrôler : une technique utilisable pour une image en 800x600 ne l'était pas en 8000x6000, car les objets se rentraient dedans de façon trop visible en gros plan. Nous n'avions pas les moyens de faire de la détection de collision automatique avec des objets complexes, ni le temps de les placer un par un à la main (il devait y en avoir 300 compte tenu des répétitions). L'éclairage de la colline était aussi problématique : trop claire, trop sombre, et les objets étaient trop difficiles à voir (et impossible d'utiliser les ombres douces ou la radiosité pour améliorer les choses). Enfin, les temps de rendu grimpaient en flèche. Les objets de Jaime étaient complexes, plein de détails et de réflexions : quelques dizaines comme ça et Mark Shuttleworth finirait le rendu sur terre?

Pendant ce temps, Jaime travaillait ses accessoires. Je finis par acheter Rhino, pris du temps pour apprendre à m'en servir pour réaliser quelques objets. Fabien Mosen fut invité à fournir quelques uns de ses objets musicaux, sans que je puisse lui révéler en quoi consistait ce projet ultra-secret !

Nouveaux départs

Début 2002, la "vie réelle" prit le dessus pour Jaime et moi, et le travail ne recommença que fin février. Avec la date butoir approchant à grande vitesse, et toutes les problèmes non résolus qui plombaient le concept en cours, la seule solution viable était de repartir de zéro. Je balançai donc le projet actuel dans la poubelle des Fausses Bonnes Idées? et je trouvai autre chose.

L'enfant fut promu au rang de Petit Prince de la Terre, assis au sommet du monde et contemplant les étoiles, laissant derrière lui une traînée de débris technologiques comme autant de déchets spatiaux. Outre la valeur symbolique plus affirmée, le nouveau concept avait des avantages pratiques. Le ciel était maintenant majoritaire en surface, ce qui fit chuter les temps de rendu et laissait donc plus de marge pour introduire des objets complexes. Le gamin tournait le dos au spectateur, ce qui élimina directement une partie des problèmes de poses et d'artefacts lumineux. Enfin, en disposant les accessoires le long d'un chemin allant du bas de l'image à l'orbite terrestre, on pouvait facilement automatiser leur placement sans trop risquer de collisions intempestives. Les sites de la NASA nous fournirent les cartes pour les continents, les nuages et les lumières des villes. La version #6 est présentée ci-dessous, avec des accessoires temporaires ou définitifs.

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Développement

Maintenant que le concept de base était fixé, il n'y avait plus qu'à travailler? Une longue période de tests s'ensuivit, afin de trouver les meilleurs coloris, éclairages, positions d'objets, équilibres structurels etc. Au fur et à mesure des versions successives, l'arrière-plan fut éclairci et la Terre rétrécie?. Les versions #7 et #8 (cette dernière avec un jeu de couleurs différent) sont présentées ci-dessous.

espace_wip_07.jpg (33189 octets) espace_wip_08.jpg (36694 octets)

Tous les accessoires furent placés dans un tableau pour être distribués le long de la "piste", de façon semi-aléatoire. Quand Jaime ou moi ajoutions un nouvel objet, il suffisait seulement de remplacer l'objet "bidon" initial par l'objet définitif pour que ce dernier soit positionné correctement. Les accessoires furent travaillés et retravaillés, afin d'ajouter des détails et des des textures. Les lumières furent déclarées la plupart du temps comme locales à un objet donné (un lumière n'éclaire qu'un objet et pas ses voisins), pour gagner du temps de rendu et éviter les ombres portées disgracieuses.

Plusieurs références à l'Afrique du Sud furent ajoutées : l'enfant porte les couleurs nationales ; les billets échappés du coffre sont des Rands (scans trouvés sur des sites spécialisés dans la vente de billets de collection). Les lumières nocturnes sous l'enfant sont celle des grandes villes sud-africaines, une prémonition de ce que Mark Shuttleworth verrait plus tard depuis l'orbite :

"Je me vois encore regarder l'Afrique du Sud  : elle ressemblait à un filigrane d'or, les villes, les lumières, les autoroutes. Je pouvais voir le Cap, puis la côte vers Knysna, George, Mossel Bay, Port Elizabeth et Durban, puis Joannesburg et au-delà, les agglomérations de Maputo et peut-être Harare. Et c'était tout, plus loin il n'y avait pas grand'chose." (The Sunday Times, 2 juin 2002). Mark avait le temps d'admirer le paysage, car il avait cassé son appareil photo numérique en tentant de changer la carte mémoire !

Citons aussi les références au raytracing, comme la petite sphère sur le damier cachée dans le four à micro-ondes, la théière de l'Utah et les mots "POV-Ray" et 'POV" écrits ici ou .

Les petites fusées furent introduites en hommage à Tintin, mais il apparut que Mark Shuttleworth avait effectivement joué à la NASA : "Quand j'était jeune, j'avais l'habitude d'expérimenter avec différents mélanges de carburant à fusée pour construire mes propres fusées" (interview sur le site African in Space).

Le 11 mars 2002, la #version 17 fut envoyée à Chris Cason.

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A notre soulagement, il l'apprécia. Chris fit aussi quelques suggestions, comme l'ajout du logotype de African In Space, le projet spatial de Mark Shuttleworth et un changement de position du bras droit de l'enfant, désormais tendu vers les étoiles. C'était une vraie amélioration, car il faisait de l'enfant un personnage actif et non passif, ce qui correspondait davantage à la philosophie générale de l'aventure de Mark Shuttleworth.

"Si nous pouvons motiver et inspirer les gens d'Afrique du Sud à atteindre les étoiles, le fardeau du sida deviendra plus facile à porter." (interview sur le site African In Space)

Le nouveau mouvement fut un peu difficile à réaliser, cependant, car la position précédente camouflait en partie les bras. La peau est un matériau difficile à simuler, car elle est composée de plusieurs couches qui interagissent avec la lumière. Le bras droit tendu à contre-jour avait vraiment l'air d'un bras de poupée en plastique ! Il me fallut le séparer du corps, augmenter sa résolution par 4 (pour éviter certains artefacts) et le remplir d'une "atmosphère" capable de rendre correctement la lumière. A l'arrivée, le bras droit a une texture différente de celle du reste du corps. Mais à ce stade, le temps nous manquait pour trouver une meilleure solution.

La version #20 fut terminée le 12 avril et 80 Mo de fichier furent téléchargés vers le serveur de Chris Cason.

espace_wip_20.jpg (49776 octets)

Il envoya les fichiers à Mark Shuttleworth en Russie, avec une version spéciale de POV-Ray destinée à tourner en orbite. Chris y introduisit une fonction mystérieuse appelée "Duty Cycle". Elle est aujourd'hui dans la version officielle et l'Aide en ligne explique son fonctionnement de la façon suivante : certains ordinateurs - et notamment les portables - refroidissent leur unité centrale (UC) par convection, ce qui les rend sujets à surchauffe quand la circulation de l'air est limitée, comme c'est le cas dans les endroits confinés, ou quand l'air chaud ne peut pas monter, comme en gravité zéro. POV-Ray utilise intensivement l'Unité de Virgule Flottante, une partie de l'UC qui n'est pas normalement utilisée sur de longues périodes. Un tel usage peut potentiellement faire générer encore plus de chaleur par l'UC. De plus, une forte activité de l'UC peut provoquer l'inactivation des mécanismes de réduction de chaleur (tels que les modes d'économie d'énergie). Le Duty Cycle oblige POV-Ray à n'utiliser qu'un certain pourcentage du temps disponible de l'UC, même en l'absence de compétition. Par exemple, un duty cycle de 10% fera dormir POV-Ray lors d'un rendu pendant 90% du temps et l'activera pendant les 10% restant. Cette étrange fonctionnalité, d'une faible utilité sur terre, provoqua quelques questions dans les forums POV-Ray…

En orbite : trois petits tours et puis revient

Le 25 avril 2002, après 8 mois d'entraînement à temps plein, Mark Shuttleworth fut propulsé dans l'espace dans une capsule Soyouz, à partir du cosmodrome de Baikonour, en compagnie du commandant de bord Yuri Gidzenko (Russie) et de l'ingénieur Roberto Vittori (Italie). Mark était un peu plus qu'un touriste, et il réalisa des travaux scientifiques à bord de la Station Spatiale Internationale, concernant l'embryologie, le sida et la vie marine. L'évènement fut largement décrit dans la presse et l'histoire complète peut être lue sur le site de Mark Shuttleworth www.africaninspace.com.

Mais laissons Mark Shuttleworth lui-même parler du rendu :

"J'ai finalement emmené DEUX portables en orbite, des machines IBM A22p P-III 1Ghz avec 256 Mo de RAM. Les machines certifiées pour l'ISS étaient des IBM Thinkpads Pentium 166, dont on savait qu'elles se comportaient correctement vis-à-vis des radiations et dans un environnement sans convection de chaleur? mais nous ne sommes jamais arrivés à trouver ces machines, qui sont anciennes et qui ne sont plus fabriquées. Alors j'ai pris la décision risquée d'en embarquer des neuves. Les Russes m'ont donné leur autorisation car il n'y avait pas de nouveaux plastiques ou matériaux susceptibles de causer des problèmes, et ils connaissaient la technologie des batteries? Faire certifier un nouveau portable par l'ESA ou la NASA aurait coûté une fortune, mais les Russes ont décidé que ce n'était pas un point critique de la mission, qu'il n'y avait pas de risque majeur, et que si cela marchait ils récupéreraient deux portables en orbite plus rapides que tout ce qu'ils avaient là-haut. J'étais un peu inquiet au sujet des radiations, car les puces sont beaucoup plus petites sur les portables récents que sur les P-166, et il y avait un risque d'erreur de mémoire ou de processeur à cause des radiations ionisantes en orbite. De plus, ces puces génèrent plus de chaleur, et il y a beaucoup d'histoires de problèmes thermiques avec les ordinateurs du commerce embarqués dans l'espace? en apesanteur, l'air chaud ne monte pas. C'est pourquoi je voulais un processus très intensif pour tester à fond la mémoire et le matériel du portable, afin de voir s'il y avait des problèmes. Si bien qu'à mon arrivée en orbite, la première chose que j'ai faite a été d'installer la dernière version de tous les logiciels, en utilisant un CD que j'avais gravé la veille du départ du Kazakhstan, et des fichiers de données mis sur des cartes CompactFlash et des mini-disques IBM. J'ai alors démarré POV et lancé le rendu sur le premier portable. S'il y avait des erreurs, la théorie voulait qu'elle se manifestent sur le portable soumis aux tâches les plus intensives pour l'utilisation du processeur et de la mémoire. J'avais donc créé grâce à POV une sorte de canari électronique me permettant de détecter d'éventuels problèmes de radiation et de chaleur avant d'utiliser mon portable de travail principal. J'ai lancé le rendu POV plusieurs fois, d'abord sans l'image puis avec elle, et je n'ai jamais remarqué aucun crash ou échec signalant un quelconque problème."

Le 2 mai, Chris Cason reçut un e-mail de l'équipe de Mark, disant qu'il avait rendu l'image et que cela avait "marché comme sur des roulettes".

Juste avant la fin du voyage, Chris fit allusion au vol de Mark Shuttleworth dans le forum povray.general. Il était difficile d'en dire plus sans dévoiler la surprise. La communauté POV-Ray avait un peu la tête ailleurs de toute façon, car la dernière version du logiciel venait enfin d'être diffusée après plusieurs années d'attente.

Le 5 mai, Mark Shuttleworth et ses camarades d'équipage atterrirent sans problème au nord-ouest du Kazakhstan près de la ville d'Arkalyk.

Le 25 mai, Mark parvint à nous envoyer un e-mail, annonçant qu'il avait rendu l'image deux fois, et qu'il avait ajouté un petit quelque chose au deuxième passage : une image de lui-même prise en orbite, si bien que l'image avait maintenant une différence notable avec celle que nous avions créée  (une idée de Chris Cason en fait). On peut voir ci-dessous que tout en étant un membre respecté de l'équipage, Mark était aussi "un cobaye humain permanent" pour des expériences sur la physiologie.

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Et puis ce fut l'attente. Une longue attente !

Revenu sur Terre, Mark Shuttleworth fut plus occupé que jamais. Il prit quelques vacances en Irlande avec ses parents, puis dût affronter les effets de sa nouvelle célébrité - les interviews, une danse avec le président de l'Afrique du Sud, sa participation au Forum Economique Mondial à Durban - tout en continuant mener sa vie d'entrepreneur sur plusieurs continents. Il courut dans tous les sens pendant 6 mois. De retour chez lui, il partit pour une tournée de 6 semaines dans les écoles sud-africaines, notamment dans les zones rurales défavorisées, afin d'utiliser son voyage dans l'espace pour susciter de l'intérêt pour les mathématiques et la science. Le show, appelé "hip2Bsquare", comprenait une scène mobile, un modèle de la fusée Soyouz, un savant fou maniaque des explosions, un DJ et un artiste de graffiti.

Le portable contenant les images fut "capturé" par les Russes, puis envoyé chez les Américains de Lockheed pour une autre série d'analyses. Quand Mark put le récupérer à l'automne 2002, la machine n'était pas en bon état et il manquait des pièces. Il ne pouvait même pas voir ses propres photographies prises en orbite.

Enfin, le 9 Janvier 2003, Mark trouva le temps de récupérer les câbles manquants et de télécharger les images sur le serveur de POV-Ray.

Dans sa préface à l'"Etoffe des héros", Tom Wolfe dit que son livre, qui raconte les premiers temps du programme spatial américain, eut comme point de départ la question suivante : "Qu'est ce qui pousse un homme à s'asseoir au sommet d'un pétard géant, et à attendre que quelqu'un allume la mèche ?".  Le 1er février 2003, la catastrophe la navette Columbia vint rappeler à tout le monde que le voyage dans l'espace est toujours une entreprise hardie et dangereuse.

Même en ces temps de "tourisme spatial", seuls les quelques centaines de personnes ayant fait le voyage peuvent répondre à la question de Wolfe. Ceux d'entre nous qui restent au sol ne peuvent rien faire d'autre que rêver aux étoiles, et faire de jolies images.

Epilogue

Laissons en conclusion la parole à Mark Shuttleworth :

Au sujet de l'image :

"Laissez-moi vous remercier pour avoir approcher ce défi de façon aussi inspirée. Vous avez vraiment capturé l'esprit de cette aventure, le fait qu'il s'agissait bien de réaliser ses rêves, la "sud-africanité" de l'effort, et la beauté de l'espace. Avoir fait cela, et créé une très belle oeuvre d'art, est une réussite."

Au sujet de son aventure (interview pour le site African In Space) :

"Je pense que chacun a des rêves qui lui semblent hors d'atteinte. Mais le monde est un endroit surprenant, et je crois que les personnes qui se battent pour leurs rêves les voient très souvent devenir réalité, s'ils ont la volonté de travailler dur, de faire un pas après l'autre dans la bonne direction, et s'ils sont prêts à prendre des risques quand l'occasion frappe à la porte. Parfois, quand ces rêves échouent, nous réalisons que nous ne nous étions pas compris nous-même, et nous voyons alors apparaître des occasions nouvelles et inattendues. Mais sans rêves nous ne faisons pas d'effort pour aller de l'avant... Les rêves sont importants pour tout le monde, à tous les âges, dans tous les pays."

Gilles Tran & Jaime Vives Piqueres © 2002 - Cette image a été commissionnée par Chris Cason www.povray.org