Avis du Conseil Départemental des Prud'hommes concernant le licenciement abusif de Josef Aradonian, agent de sécurité, par son employeur, Intransigeante S.A., pris le 17 juillet 1989.
Bande 32-17-88. Photogramme 6'39".
Résumé du dossier : la société Intransigeante S.A., sise au 35 rue des Fleurs à Courbevoie (92), est spécialisée dans la protection des biens et des personnes ; elle dispose pour cela de personnels assermentés qu'elle met à disposition des entreprises du département, et en particulier des sociétés de gérance des ensembles administratifs de La Défense. Le plaignant, M. JosefAradonian, travaille pour Intransigeante S.A. depuis 1987. Il a été affecté, depuis son entrée en fonction, au gardiennage nocturne de la Tour Vilsmaier, qui abrite la division financière de Vilsmaier France, filiale française du Vilsmaier Group, multinationale travaillant dans la gestion des flux (eau, énergie, information,argent). Sa fonction, essentiellement passive, consiste à contrôler sur des écrans de télésurveillance les entrées et sorties des personnels et visiteurs de Vilsmaier France entre 23 heures et 7heures du matin. Il fait partie d'une équipe de trois personnes, chacune suivant une dizaine d'écrans. Le travail de M. Aradonian avait donné toute satisfaction à ses employeurs jusqu'à son licenciement le 17 octobre 1988.
A cette date, Intransigeante S.A. s'est séparée sans préavisde M. Aradonian, motivant sa décision par la faute lourde dont cet employé se serait rendu coupable le mois précédent, en laissant pénétrer dans les locaux des personnes étrangères à Vilsmaier France et ce à deux reprises. Les preuves avancées par Intransigeante S.A. sont des bandes vidéos où l'on voit distinctement des personnes entrer dans l'immeuble, sans que leur venue ne soit consignée sur les registres. Ces bandes correspondant aux domaines surveillés par M. Aradonian, celui-ci a été immédiatement licencié. Par ailleurs, bien que les visites mystérieuses n'aient apparemment pas été suivies de dommages, Vilsmaier France a résilié son contrat avec Intransigeante S.A., qui portait sur douze implantations du groupe dans le département,et l'ancien employeur de M. Aradonian est maintenant en redressement judiciaire.
Motif de la contestation : M. Aradonian conteste l'accusation de négligence ou de complicité ayant conduit à la qualification de faute graveet à son licenciement sans préavis ni indemnités. Il demande donc sa réintégration chez Intransigeante S.A.. Il affirme ne pas avoir eu connaissance de l'entrée de ces personnes dans le bâtiment aux heures dites. M. Aradonian ne nie pas l'existence et la véracité des bandes vidéo, ni la bonne foi de son ancien employeur. Il explique l'apparition de formes humaines sur les bandes par un phénomène dit de "l'effet miroir", ou encore de "l'effet ", du nom de son inventeur, par lequel certains dispositifs de captation de la réalité(bandes magnétiques, photographie, ?il, oreille?) seraient en mesure d'enregistrer des phénomènes non extemporanément. Toujours d'après M. Aradonian, il aurait suffit de visionner les bandes enregistrées dans les deux semaines antérieures ou postérieures aux événements pour constater la présence des mêmes personnes "mystérieuses"sur ces bandes, sauf que cette présence serait alors parfaitement justifiée et consignée. Malheureusement, selon M. Aradonian, personne n'a pris lesoin de vérifier ses dires, et les bandes sont aujourd'hui effacées.
Bande 34-17-88. Photogramme 36'12".
Décision du Conseil : Il ne nous a pas été possible, compte tenu des faibles moyens d'investigation du Conseil, de procéder aux vérifications, voire aux expérimentations nécessaires pour prouver la véracité des affirmations de M. Aradonian. Nous avons consulté un expert en audiovisuel, lequel n'a pu ni infirmer ni confirmer la réalité de "l'effet ", dont il a seulement entendu parler. Cependant, la bonne foi apparente de M. Aradonian nous fait considérer comme abusif son licenciement pour faute grave par Intransigeante S.A., qui aurait dû selon nous écouter davantage son employé, d'autant plus que, s'il était prouvé, "l'effet " aurait de grandes conséquences sur le secteur de la protection et de la surveillance. Intransigeante S.A. a peut-être eu le tort assez répandu de prendre la représentation de la réalité pour la réalité elle-même.
Etant donné la situation de redressement judiciaire de Intransigeante S.A., il nous est cependant impossible d'ordonner la réintégration immédiate de M. Aradonian. Le Conseil ordonne donc à l'administrateur judiciaire de Intransigeante S.A. de rétablir M. Aradonian dans l'intégralité de ses droits en matière de licenciement.
Gilles Tran © 2001 www.oyonale.com