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Un chien Andalou

Naixo, golden retriever de 3 ans. Propos recueillis à Cordoue le 17 octobre 1998 et traduits par le Professeur Maria Jesus Alcofribar, professeur de linguistique canine à la Facultad de Veterinaria, Universidad Politécnica de Sevilla.

Moi, Prince Naixo, fils du Prince Calixto et de la Princesse Paquita, frère des Princes Pepe, Gladio et Montxo, j'ai vu le soleil se lever 4317 fois au seuil de mon territoire. Je suis vieux. J'ai mordu bien des Princes, couvert bien des Princesses, et tué bien des Parasites dans mon existence. Je connais les Esclaves : ils servent à ma table, ils me soignent, ils se reproduisent entre eux, ils vont et viennent sur mon territoire. Dans leur majorité, les Esclaves nous sont fidèles et dévoués, mais la communication avec eux est difficile. On ne sait jamais ce qu'ils pensent, leur langage est obscur, et probablement composé de simples sonorités mises bout à bout pour nous imiter. Seuls les plus intelligents d'entre eux connaissent et prononcent nos noms correctement, ainsi qu'une poignée de mots liés à la nourriture.

Je n'ai connu qu'un seul Esclave différent des autres. Il était venu vivre sur un territoire vide voisin du mien et, contrairement aux Esclaves sans maître que l'on rencontre parfois, il n'était pas venu exprimer spontanément son allégeance. L'âge m'a appris la libéralité, ce que l'on me reproche souvent. En dépit des usages, je suis donc allé le voir "chez lui" (chez un Esclave, la notion de propriété paraît effectivement déplacée), et il m'a surpris tout de suite. Seule son apparence visuelle était celle d'un Esclave. Pour le reste, il aurait presque pu passer pour un Prince arriéré, doté d'un vocabulaire limité mais bien plus riche que celui de l'Esclave habituel. Le plus extraordinaire était son absence d'odeur. Si vous fermiez les oreilles et les yeux, rien ne vous révélait sa présence. Et comme un Prince, il avait même un nom, il disait s'appeler .

Il est resté plus de deux ans dans le territoire d'à côté. Nous nous rendions souvent visite, ce qui rendait jaloux mes propres Esclaves, et certains Princes voisins. Je me suis battu plusieurs fois à cause de cela. De quoi parlions-nous avec ?Oh, il me posait beaucoup de questions sur ma vie, sur les Princes, sur les Ennemis, et sur les Esclaves. Une fois, je lui ai demandé pourquoi il me posait ces questions. Pour comprendre, telle a été sa courte réponse. Comprendre quoi ? Tout. Pourquoi était-il venu s'installer ici ? Il s'agit d'une porte, m'a-t-il dit, par laquelle il pouvait aller et venir entre son monde et le nôtre, celui des Princes. Il était souvent confus dans ses explications. Il parlait peu de lui de toute façon, je crois qu'il se rendait compte que son vocabulaire et sa pensée était insuffisants. Je n'ai jamais pu comprendre comment il était devenu ainsi. Une expérience médicale ratée, une vivisection comme en pratiquent les Esclaves sur eux-mêmes, qui lui aurait donné des parcelles de génie. Simple hypothèse.

Un jour, j'ai trouvé "son" territoire vide. Il n'y avait rien laissé, sinon quelques traces, des lignes brisées sur le sol, des brindilles qu'il avait ramassé dans la cour. Je pense qu'elles m'étaient destinées, mais je n'ai jamais pu les interpréter. Je les ai toujours. Elles sont dans ma Niche, sous mon Coussin, et je veille sur elles jalousement, comme seul peut le faire un Prince de race.

Gilles Tran © 2001 www.oyonale.com