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L'affaire du foulard

Quand Olympus Vedora découvrit la vérité sur sa femme, il en fut tout retourné. Littéralement. Il était assis, sur son lit, comme un enfant sage, et elle lui lâcha la nouvelle comme ça, comme certains médecins quand ils vous annoncent, le nez dans leurs ordonnances, que votre enfant à naître aura une jambe en trop. Olympus était assis, et il se coucha en arrière, puis il se retourna, telle une crêpe, à plat ventre, la tête dans l'oreiller qui, déjà, absorbait ses larmes abondantes. Nizzi Vedora resta un moment à contempler sa fontaine de mari et termina de ranger ses affaires. Puis elle prit ses cliques, ses claques, et enfin l'ascenseur, pour le rez-de-chaussée où l'attendait un chauffeur à la serviabilité adipeuse.

me demanda qui il devait suivre : Olympus ou Nizzi ? Je lui dis que c'était à lui de choisir. Il choisit Olympus, dont l'état mental le surprenait.

Olympus resta sur le lit, secoué de sanglots, jusqu'à ce qu'il entendît l'ascenseur s'arrêter. Il se leva, regarda par le fenêtre le taxi s'en aller sur Rexington Avenue, le suivit de ses yeux détrempés jusqu'à la voie ferrée. Après, tout se brouillait, smog et pluie mélangés, en un carnaval dansant de petites lumières floues. Mais si Nizzi n'était plus qu'un pixel balbutiant dans le monde réel, il la sentait toujours sur lui, dans lui, partout, un fantôme dans cette chambre d'hôtel. Elle s'était retirée trop vite de son existence, laissant derrière elle des monceaux d'algues, du bois mort et des bouteilles vides. Et la certitude que contrairement à la marée, elle ne reviendrait pas. Olympus vit qu'elle avait laissé l'empreinte de son pied nu sur une feuille de papier posée au sol.

s'impatientait. Il me demanda quand il allait pouvoir intervenir. Il était là pour ça,non ? Je lui dit d'attendre un peu. Il y avait des règles à respecter. Olympus avait besoin de temps.

Il aurait voulu faire comme si, prétendre qu'elle était toujours là, mimer jusqu'aux chamailleries, aux silences, aux gestes. Il essaya, quelques instants, n'obtenant que de grossières parodies d'hier et d'avant-hier. Et il y avait quelque chose d'autre, une curiosité qui au fil des minutes se substituait à l'absence. Ce qu'elle lui avait avoué, jeté à la figure, un os à ronger qu'il commençait à soupeser, avec l'empressement distancié de celui qui lit une bonne histoire. Ainsi, toutes ses années, elle... Il fit le compte des indices, signes avant-coureurs, des paroles à double sens, des petits cailloux blancs sur lesquels il avait trébuché. Tout était limpide. Il en aurait sauté de joie, sauf qu'elle n'était plus là pour l'applaudir.

Prenez l'affaire du foulard, par exemple. Elle l'avait oublié en partant, un foulard coloré, bleu et orange, reconnaissable entre tous. Il avait maintenant le nez dedans, respirant à pleins poumons les traces parfumées de Nizzi. Quelles traces ? Le foulard ne sentait rien. Rien. Il se souvint du foulard, trois ans auparavant. Elle l'avait acheté lors de leur voyage à Bombay, parmi une foule d'autres souvenirs inutiles qui encombraient encore leur appartement (et dont il ne lui disputerait pas la garde). Il se souvint du marchandage, lui qui avait horreur des choses dont le prix n'était pas indiqué sur une étiquette. Il se souvint de sa maladresse avec les billets de mille roupies. Il se souvint qu'ils avaient été pris dans une tornade de poussière ocre, et qu'elle avait noué ce foulard sur son visage pour se protéger. Il se souvint de multiples détails, leurs vêtements, ce qu'ils s'étaient dit, le prix de la course en taxi pour rentrer à l'hôtel, et comment elle n'avait dénoué le foulard que pour l'embrasser. Olympus regarda le foulard, le retourna, et vit la petite mention cousue sur le bord, première preuve tangible de sa nouvelle réalité.

Maintenant, me dit ? C'est maintenant, non ? J'acquiesçai.

On frappa à la porte. Olympus Vedora jeta un coup d'œil à sa tenue, qui était à peine décente. Au moins il était en slip. Il serait intéressant d'en regarder la couture, tout à l'heure. Olympus ouvrit à un garçon d'étage dont l'uniforme écarlate arborait un magnifique, et qui l'informa qu'il devait libérer la chambre à midi, afin que les femmes de ménage puisse la préparer pour le client suivant. Olympus lui fit remarquer que, en ce qui le concernait, le jeu était terminé. Quel jeu, dit ? Vous devez simplement libérer la chambre, ou au moins en prendre une autre. Vous souhaitez reprendre une chambre ? Non, non, dit Olympus, je descend tout de suite, laissez-moi m'habiller. Il mit l'autre à la porte, sans trop de ménagement. Il regarda l'ourlet de son slip, examina ses chaussettes, ses chemises, puis tous les objets immédiatement à portée de sa main. Tous portaient, écrite de façon fort discrète, la mention Copyright © 1998. Et lui-même, sur la face interne de son mollet gauche, sous la forme d'un petit tatouage.

Alors ça s'arrête là, me demanda ? Olympus devrait avoir droit à une seconde chance avec Nizzi, non ? Je lui fis remarquer qu'il avait vendu la mèche au bout de 820 mots et qu'après un coup pareil, aucun personnage de fiction n'aurait le cœur de continuer. Olympus l'avait dit lui-même : en ce qui le concernait, le jeu était terminé.

Nizzi, par contre, n'était toujours pas au courant...

Gilles Tran © 2001 www.oyonale.com